Grippe Aviaire. Influenza Aviaire Hautement Pathogène.
Comment j’ai vécu, comment je vis cette tragédie ?
Nous avons entendu parler de cette maladie, la première fois, il y a peut-être près de 15 ans. C’était loin, en Asie, mais on parlait de possible transmission à l’homme ; dans des cas extrêmes d’une grande promiscuité homme / volailles. Mais les oiseaux migrateurs étaient déjà désignés, à l’époque comme principaux vecteurs de la maladie.
Pourtant, à bien y regarder le développement de la maladie suivait davantage les voies de communication des humains, plutôt que celles des oiseaux……. Mais y’avait déjà quelques cas dans l’Est de l’Europe.
Il y 5 ans en 2017 les premiers cas dans le département des Deux-Sèvres, qui faisaient suite à des cas plus nombreux dans le sud-ouest de la France, avec des abattages massifs de volailles saines, bien souvent, presque exclusivement des canards gras: principe de précaution. Et des témoignages de détresse des éleveurs, qui étaient souvent taxés de « mauvais « éleveurs.
Chez nous ce n’était à l’époque que 5 ou 6 cas isolés, (dont 2 collègues que personne ne pouvait qualifier de négligents)
Aux dires de ces collègues, la gestion du nettoyage/désinfection des élevages évoquait davantage les méthodes de la Gestapo, aux temps de l’occupation : les éleveurs étaient complètement dépossédés de leurs responsabilités, par des vétérinaires absolument pas préparés à une telle responsabilité ; mais qui exerçaient une pression complètement dingue sur les éleveurs, traquant la moindre poussière, dans les recoins les plus inaccessibles !
Depuis, nous nous sommes malheureusement habitués, presque chaque année à un nouvel épisode dans les élevages de canards du sud-ouest, avec à chaque fois des drames humains ! Tant que c’est au loin !, ou alors que ce ne sont que des cas vraiment isolés chez nous !…………..
Mais au début de cette année, un développement fulgurant, et très inquiétant en Vendée, département très proche, géographiquement, et économiquement de chez nous. C’était la cata, la- bas, et on ne voyait vraiment pas ce qui pourrait nous protéger du même sort….
La Vendée a payé un tribut particulièrement lourd, plus de 500 élevages touchés, car située au cœur d’une région extrêmement dense en élevages de volailles hors-sol. Et les départements limitrophes ( 49 et 44 plus de 100 cas chacun, et 79, « seulement « 53 cas)un peu moins impactés.
Et, dans cette gestion de catastrophe, le plus dur, pour nous, a souvent été ce sentiment d’arbitraire des décisions : qui commande ?
C’est ainsi, qu’au nom de la protection des couvoirs, et élevages de reproducteurs les pouvoirs politiques nous ont imposé le vide total de notre élevage pendant au moins un mois. Nous avons comme ça été plus de 200 élevages, dans le seul département des Deux-Sèvres a devoir abattre des animaux sains, avant qu’ils ne soient arrivés à maturité, sous la menace de se les faire abattre et envoyés à l’équarrissage, par les pouvoirs publics, et au frais de l’Etat, bien sûr. Nous avons ainsi abattu des poulets de 12 semaines d’âge (contre 16 semaines habituellement), et, pour que cette viande ne soit pas perdue, nous en avons fait des rillettes, pour limiter la perte.
Quel gâchis. Vous imaginez notre colère d’éleveurs.
Ce sont les organisations professionnelles industrielles qui commandent leurs solutions à l’Etat. Et, je suis particulièrement en colère contre ce gouvernement qui ne sait, ou ne veut pas arbitrer pour la défense de l’élevage paysan.
Nous, les éleveurs de volailles de plein-air, fermiers ou bio recevons, souvent une bonne écoute des fonctionnaires des services vétérinaires, mais nous sentons très bien, que les décisions se prennent en haut !
Depuis 3 ou 4 ans, je représente la Confédération Paysanne, au sein de l’interprofession volaille, au niveau national. Pour eux, une seule cause à cette épidémie : la diffusion par les oiseaux migrateurs, et nos élevages plein-air en sont le relais. J’entends les discours des industriels, qui ne raisonnent que désinfection, sectorisation, homogénéisation, hygiène ++. Et normes, et sanctions pour ceux qui ne respectent pas…..Mais je n’y ai jamais entendu prononcer les mots de limitation de densité et de concentration. De même la biodiversité ……Un autre monde ! Et, dans ces milieux d’élevages intensifs, de grands abattoirs, de fabricants d’aliment, de grands couvoirs, on parle beaucoup d’export, de compétitivité …,etc , mais pas beaucoup des femmes et hommes qui travaillent là-dedans, ni de relation avec leurs animaux.
L’interprofession, qui est censée représenter l’ensemble des acteurs de la volaille, c’est en fait la loi du plus fort. Et l’Etat s’en dégage complètement. Il devient ainsi complice, en ne se souciant pas de l’équité, en son sein.
Depuis plusieurs années, nous nous sommes opposés au confinement des volailles, mesure imposée pour freiner la diffusion du virus. En plus d’être complètement inefficace (la quasi-totalité des élevages touchés par le virus sont des élevages de type industriel, et claustrés), cette disposition signe la mort de l’élevage fermier ; Car ce sont au bas mot 4 mois de claustration imposée+, par précaution de 2 à 6 mois supplémentaires. Et pendant ce temps-là les étiquetages bios, liberté, ou plein-air ne sont pas modifiés. Une tromperie supplémentaire pour le consommateur.
Nous éleveurs indépendants, subissons de plein fouet toutes les complications administratives, et économiques de cette gestion, faite par, et pour le modèle industriel. Et, les aides et subventions sont toujours conditionnées au fait de devoir « rentrer dans le moule ». Et contre les récalcitrants, ce sont toutes sortes de pression psychologique, sociale par les milieux professionnels et autorités, si nous résistons.
Nous avons déjà reçu 3 lettres de mise en demeure, et sommes convoqués dans une semaine au siège des Services Vétérinaires à Niort. Malgré une longue expérience d’adversité dans la vie, j’avoue que cette pression me pèse. Heureusement que Yoann, mon fils, qui a remplacé Dominique en tant qu’associé depuis 5 ans fait preuve aussi de beaucoup de pugnacité ; Heureusement surtout, que nous avons su constituer tout un groupe de 80 collègues, indépendants, et de la région proche, pour porter collectivement notre défense. Allez voir sur Facebook ou internet : Sauve qui poule Poitou
J’ai vraiment conscience de mener une guerre pour la défense du monde paysan, pour composer avec la nature, avec le vivant. Je ne suis pas vraiment serein, mais je suis en paix. Je sais que certains collègues vont décrocher. D’autres, avec un projet d’installation vont renoncer.
Macron pense que l’avenir de l’agriculture c’est le numérique, la génétique, la robotique…..
Nous pensons que c’est le savoir-faire paysan, et la recherche, avec, et pour les femmes et hommes qui en vivent.
Nous pensons que la meilleure façon de maitriser ce virus (et les suivants..)C’est de limiter les concentrations, et la taille des élevages, de revenir à des souches plus rustiques, même si elles poussent moins vite. Mais surtout de cultiver la biodiversité. Chercher à éradiquer un virus, c’est de la connerie. La nature a toujours le dernier mot. Et, dans ce domaine l’élevage plein-air c’est non négociable. La confrontation sera dure. Nous éleveurs tous seuls ne ferons pas le poids. Nous avons besoin de l’implication des consommateurs, des citoyens, pour défendre une bonne gestion de l’argent et de l’espace public.
Merci, à chacune, chacun, d’aller voter pour défendre notre bien commun, et d’agir partout pour faire vivre, ici et ailleurs des paysans nombreux, et responsables, au service d’une souveraineté alimentaire en danger.
Ecrit, ce lundi 6 juin 2022, avec beaucoup de détermination et d’humilité, sans haine, avec un sentiment fort de gravité, et néanmoins plein d’espérance en la vie.
Jean-Paul
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